Retouches numériques

Retouches numériques

Retouches numériques: où commence le mensonge ?

Par Sébastien Lavallée

Dans le monde du photojournalisme, la retouche numérique des images ne doit jamais dépasser une certaine limite acceptable afin de conserver la véracité de l’information qui s’y trouve, mais où se situe exactement cette limite ?

Il y a plusieurs mois, je lisais cet article sur RapporteursPhoto concernant la disqualification, du World Press Photo, d’une image réalisée par le photographe  Stepan Rudik. La raison: manipulation excessive de l’image (vous pouvez voir la photo avant et après manipulation sur le site de RapporteursPhoto).

Plus près de nous, il y a moins d’un mois, The Economist se retrouvait dans une position similaire. La retouche de cette photo d’Obama observant les dégâts causés par la marée noire nous montre bien l’efficacité du content aware fill de Photoshop CS5, mais transforme complètement l’image. Reuters, l’agence dont fait partie le photographe, stipula qu’ils n’y étaient pour rien: la rédaction de The Economist a donc pris la liberté de faire cette manipulation, ce qui pose un autre problème… mais nous y reviendrons peut-être un jour.

Qu’ont en commun ces deux manipulations, quoique de nature différentes ? Le message: chacune de ces photos ne transmet pas la même information avant et après, elles sont dénaturées, transformées. Ce qui m’amène à cet article de Black Star Rising: Photo Manipulation Isn’t a Sin — But Lying About It Is.

L’exemple des négatifs abîmés par le responsable du laboratoire du magazine Life pour lequel Robert Capa travaillait est effectivement excellent pour illustrer un type de «retouche» qui a été accepté de tous: qui ne se souvient pas de ces images du débarquement de Normandie aux silhouettes fantomatiques ? Elles donnaient cependant un bon exemple de l’ambiance qu’il régnait alors, en aucun cas cette transformation n’affectait le message journalistique des images, que l’aspect plastique.

C’est, selon moi, ce que l’on accepte comme transformation: il ne faut pas créer une situation qui n’a jamais eu lieu, une tension émotive qui n’a jamais existée, mais rendre compte des faits. De plus, la plupart des effets pourraient être faits au moment de la prise de vue elle-même. Il suffirait d’utiliser une vitesse d’obturation lente, une balance des blancs déréglée ou une sur/sous-exposition importante. Cela ne viendrait en rien changer le message de l’image, seulement l’appuyer. Pas nécessaire, dans ce cas, de nuire à la crédibilité journalistique d’une image en l’affligeant d’un «R» dénonciateur (voir article de Black Star Rising).

Pour ma part, j’essaie toujours de garder les manipulations au strict minimum. J’essaie de donner un peu plus d’impact à mes images, mais sans plus. Je préfère de loin avoir le maximum d’informations en fonction de mes intentions sur le fichier RAW directement. Voici, d’ailleurs, un petit exemple avant/après.

Avant/Après, Chasseurs, Disraeli (Québec) (© Sébastien Lavallée, 2009)

Et vous, qu’en pensez-vous ? Est-ce qu’une manipulation trop poussée d’une image lui retire vraiment tout intérêt journalistique?

Comments on This Post
Anne

Et bien moi, je pense qu’en photojournalisme il ne devrait y avoir aucune retouche numérique car cette discipline a pour but, normalement, de nous communiquer une réalité, un vécu, un moment T. Cependant, si on commence à retoucher, ce n’est plus cette réalité qui est montrée à tout le monde mais ce que le photographe aurait peut-être aimé voir… Grosse nuance !

20 juillet 2010
Sébastien Lavallée

Dans un sens, oui. Mais si, comme dans le cas des photos de Capa, le moment n’est pas saboté, qu’il reflète l’ambiance générale, est-ce que cela comporte les mêmes «mensonges» ? Cadrer ou utiliser un grand angle plutôt qu’un téléobjectif serait alors tout aussi mentir. La ligne est fine, effectivement. Dans les deux exemples dans l’article il y a vraiment modification: le sens est complètement transformé. Pour le fait d’autoriser les retouches, si le photographe aurait «aimé le voir», probablement que le lecteur aussi ! :-)

20 juillet 2010
Hans

Un capteur d’appareil photo et un oeil ne voit pas les choses de la même façon. Il est sur que des ajustements de base sont nécessaires. Comme pour faire sortir les nuages et la bonne balance de blanc (dans l’image ci-dessus). L’oeil humain est vraiment attiré par les images qui ont un petit plus qu’en réalité contrast, saturation, désaturation, accentuation, densité etc. Qui donne un punch. La où ca devient un problème en photojournalisme c’est que certaines altération change le sens d’une image et présente une réalité qui n’a jamais existé. En faisant cela les journalistes se discréditent eu même tout autant que s’ils rapportaient une fausse nouvelle.

Exemple dans l’image de The Economiste l’image modifié change le sens et donne l’impression que Barrack regarde la mer et réfléchi, peut-être au conséquence du désastre ou à sa belle mère, alors qu’en fait il parlait avec quelqu’un… Ce n’est pas le même événement dutout et en ce sens l’éthique journalistique est atteinte puisqu’il est présenté en première page un événement qui n’a jamais eu lieu soit Barrack pensif devant la mer et une plateforme de forage en arrière plan.

Donc oui pour moi lorsqu’on change une image au point de lui changer sont sens on sort du journalisme pour entrer dans une représentation plus artistique d’une réalité.

20 juillet 2010
Sébastien Lavallée

Merci bien pour ton commentaire, tu soulèves un excellent point ! Je crois aussi que c’est surtout lorsque le «quoi» est tranformé que l’image perd de son authenticité.

20 juillet 2010
Tweets that mention Retouches numériques | -- Topsy.com

[…] This post was mentioned on Twitter by Jean Boileau, Infocale. Infocale said: Retouches numériques: où commence le mensonge ? Par Sébastien Lavallée http://bit.ly/b0HDa8 […]

20 juillet 2010
Stephane Lariviere

L’important la plupart du temps c’est d’améliorer l’image et non de refaire la photographie, à moins évidemment de souhaiter créer une oeuvre numérique surréaliste. Parfois à la prise de vue tout ne s’enregistre pas idéalement, les haute lumières peuvent être un peu trop pâles ou les détails dans les ombres un peu moins apparents, comme il n’est pas toujours possible de photographier en HDR, la retouche par photoshop peut permettre de régler certains petits problèmes… ;)

20 juillet 2010
Sébastien Lavallée

Bien dit ! Certains, à la vue de la couverture de The Economist, croient toutefois que les retouches peuvent être poussées plus loin ! Serais-tu d’accord que cette pratique continue, mais en identifiant les images retouchées ?

20 juillet 2010
Stephane Lariviere

Concernant la photo du Président c’est clair que la photo originale ne rend pas le même message que celle qui a été recadrée et retouchée, la finale est beaucoup dramatique! Il y a effectivement distorsion de la réalité et des événements dans ce cas précis, mais il en va de même pour les textes qui paraissent parfois. Lorsqu’un journaliste écrit un article il arrive à l’occasion que ses impressions ou opinions transpires dans ses écrits… de plus, cette photo aurait pu être prise directement sans retouche ultérieure, donc à partir de là faut il proscrire photoshop? Si le Président avait été placé dans un autre contexte sur un autre fond et que la photo avait complètement été trafiquée j’aurais été contre, mais dans ce cas précis je ne suis pas certain que la retouche a été sur-utilisé.

24 juillet 2010
Sébastien Lavallée

Un excellent point soulevé ici: est-ce que l’image aurait pu être prise sans retouches ultérieures ? Il est vrai que même dans les textes qui ne font de rapporter les faits bruts, la subjectivité du journaliste, dans son choix de mots par exemple, peut influencer le message. Par contre, le photographe n’a jamais été témoin de l’émotion qui émane de l’image d’Obama retouchée: il a photographié autre chose, un autre message. Cela équivaudrait à poser une question, noter la réponse et transformer du tout au tout cette réponses dans la version finale de l’article. Merci pour ton commentaire !

25 juillet 2010
Dominique Frotté

Ne faire ni plus ni moins que ce qui est possible sous un agrandisseur. Comme Jean-Yves Brégand pour les images de Salgado et Sieff (ou tout autre tirage d’exposition). Faire sortir le ciel, appuyer une lumière existante, déboucher des ombres … Ceci pour le photojournalisme. Chaque photographe avait il y a peu “son” tireur, sachant interpréter la sensibilité du photographe, tirer et révéler le maximum d’un négatif comme savait si bien le faire et avec beaucoup de poésie Yvon Le Marlec pour les images de Xavier Lambours. Que ce soit pour le N&B comme pour la couleur.
Le problème aujourd’hui et là sur interprétation des couleurs sur les fichiers numériques, dénoncée par J-F Leroy. Saturation et valorisation des couleurs d’une image qui ne sera belle que par ses couleurs, dénaturant ainsi le contexte de l’image et l’information sensée être contenue dans l’image.
L’autre question concerne les “petites retouches” que l’on pourrait appeler esthétique. Un petit coup de tampon pour supprimer un câble, une tache sur un vêtement, un bourrelé disgracieux pour un président, et nous entrons dans le début du mensonge. Le reste c’est de la photo de mode, c’est à dire justement l’affirmation esthétique d’une image.

22 juillet 2010
Sébastien Lavallée

Merci pour ton commentaire Dominique ! Il est toutefois possible d’en faire beaucoup plus avec un agrandisseur: une simple «solarisation» peut complètement transformer l’image. L’outil tampon, cependant, est à proscrire complètement !

22 juillet 2010
10 photos qui ont changé ma vie (de photographe) |

[…] pouvait avoir. Je parlais de cette série de photos du débarquement de Normandie dans cet article sur la retouches numériques. Encore aujourd’hui, ces émulsions photographiques ayant souffert du mauvais traitement du […]

13 août 2010
Janick

J’aime bien pouvoir retoucher car si je me fis au ciel, il est beaucoup mieux représenter dans la photo amélioré. Merci pour ses boen trucs !!

19 août 2010
Sébastien Lavallée

Oui, mais il n’a pas été «retouché» au sens propre: j’ai simplement changer l’exposition. Le ciel, dans la réalité, était exactement comme dans la deuxième image (l’appareil photo ne pouvant pas, par lui-même, faire une exposition différente pour chaque partie de l’image. Ce genre d’astuces était pratique courante en argentique aussi («dodge and burn»). merci pour ton commentaire !

19 août 2010
un trentième - Sébastien Lavallée, photographe - Gatineau, Ottawa, Montréal

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20 août 2010
Ce qui me tient occupé… | untrentieme.com

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30 mars 2011
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